Tragique destin de Sadiba Coulibaly : chronique d’une mort certaine… (Abdoulaye Oumou SOW)

Dans cette chronique, nous tentons de faire l’autopsie de cette mort tragique de l’ancien chef d’état-major général de l’armée, « numéro deux » de la junte, et dernièrement chargé d’affaires à l’ambassade de la Guinée à La Havane (Cuba).

• Le divorce

Nommé chef d’état-major général de l’armée en octobre 2021, le défunt Sadiba Coulibaly a été limogé et nommé ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Récupération des domaines spoliés de l’État en mai 2023. Mécontent de la position prise par le chef de la junte, Mamadi Doumbouya, dans son conflit avec le ministre de la Défense, Sadiba Coulibaly a refusé le poste et a préféré se retrancher à son domicile. Selon plusieurs sources dans l’armée, il avait demandé au chef de la junte le départ de Idy Amin à la tête de l’armée pour un autre département ministériel, en raison de la tension persistante et de la cohabitation difficile entre lui et ce dernier.

N’ayant pas obtenu gain de cause, il s’est senti marginalisé par le chef de la junte, alors qu’il se considérait comme celui ayant rallié l’armée le 5 septembre 2021 pour aider à réussir le coup d’État en évitant un affrontement entre les factions.

• L’exil « forcé »

En octobre 2023, il est nommé en catimini chargé d’affaires à l’ambassade de Guinée à Cuba. Le même jour, il lui est intimé de quitter immédiatement le pays pour rejoindre son poste d’affectation. Il embarque pour La Havane sans rien préparer pour son départ. Arrivé à son poste, l’ancien chef d’état-major rencontre des problèmes avec le personnel qui pensait avoir un boulet d’air avec son arrivée, étant un membre « influent » de la junte au pouvoir.

La plupart estimaient que c’était des malentendus qui devaient être réglés rapidement, puisque Sadiba Coulibaly n’en voulait pas à Doumbouya, mais plutôt au ministre de la Défense, Aboubacar Sidiki Camara (Idy Amin). Il estimait que ce dernier entraînait le CNRD dans des lendemains incertains. L’aventure ne sera pas facile pour Sadiba Coulibaly et ses cadres à Cuba. L’ambassade est sevrée. Les moindres faits et gestes du Général sont rapportés au ministre de la Défense. C’est la dèche. Le ministre des Affaires étrangères refuse de collaborer avec lui. Les demandes nombreuses sur l’amélioration des conditions de vie de son personnel restent lettre morte. Les mails et appels du Général restent sans réponse. Il tente de joindre des gens à la présidence, début de dénouement. Mais pour une courte durée.

Les robinets sont fermés, cela devient incompréhensible pour celui qui était numéro deux de la junte et pense avoir beaucoup subi. Il prend la décision de revenir à Conakry dans l’espoir de rencontrer le chef de la junte, Mamadi Doumbouya. L’annonce est faite au personnel de l’ambassade, le ministre des Affaires étrangères est informé. Le ministre de la Défense l’apprend et trouve la faille pour happer complètement son « rival ».

Au moment où Sadiba Coulibaly préparait son retour à Conakry, Idy Amin s’empresse, avec des complices aux renseignements généraux, d’établir un rapport à charge contre Sadiba Coulibaly. Dans le fameux document, il est indiqué que l’ex-chef d’état-major serait en contact régulier avec le président déchu Alpha Condé, l’ambassadeur de Guinée au Maroc, ex-chef d’état-major Namory Traoré et certains activistes de la société civile. Selon le rapport, Sadiba Coulibaly serait dans l’optique de « rectifier » la transition en intelligence avec un groupe de personnes dans l’armée acquises à lui et certains anciens du BATA qui seraient acquis au président déchu Alpha Condé.

• L’ultime retour au pays

Le jeudi 23 mai 2024, le Général Sadiba Coulibaly débarque à l’aéroport de Conakry et se dirige à son domicile de Kountia. Il prend soin d’informer le ministre Morisanda Kouyaté de son arrivée à Conakry. Après un bref échange, ce dernier l’informe de la visite d’État du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye le lendemain, vendredi 24 mai. Il promet de le recevoir après cette visite officielle.

Les jours suivants, Sadiba Coulibaly est reçu au ministère des Affaires étrangères à Koloma. Après les civilités, il expose au ministre les problèmes de son personnel et exprime sa colère face aux mails et appels sans réponse adressés au ministre. Surtout qu’il estimait être celui qui, dès les premières heures du CNRD, a approché le ministre et favorisé sa nomination. Cela pour honorer l’amitié scellée pendant leurs années d’études (formations) aux États-Unis. Dans les échanges, le ministre Morisanda Kouyaté demande s’il avait informé le président de sa présence. Il rétorque NON, mais souhaite vivement le rencontrer puisque c’est le seul à avoir désormais la solution à « son » problème. Le ministre promet d’informer lui-même le président. Dans la soirée, le ministre des Affaires étrangères est convoqué à la présidence. Interrogé sur la présence de Sadiba Coulibaly à Conakry, il dit ne pas être informé. Ordre est donné d’appeler le Général Sadiba Coulibaly. Il s’exécute, le téléphone mis sur haut-parleur. Au bout du fil, l’ex-chef d’état-major est stupéfait par la colère du ministre qui tente de faire croire qu’il venait d’être informé de sa présence. Le chef de la junte demande à parler avec lui. Sans aucune civilité, il demande à Sadiba Coulibaly les raisons de sa présence sur le territoire national sans autorisation. Ce dernier rétorque ne pas être interdit de revenir en Guinée et souhaite rencontrer le président pour lui exposer le problème. Mamadi Doumbouya pique une colère noire et jette le téléphone sur la table. Morisanda Kouyaté reprend le téléphone et continue les « diatribes » contre Sadiba Coulibaly qui était très remonté par son comportement. Une discussion de sourds entre les deux.

• La mort tragique de Sadiba Coulibaly

Le mardi 4 juin 2024, entre 18 et 21 heures, le domicile de Sadiba Coulibaly est attaqué par les éléments des forces spéciales. Après plusieurs tirs sur le domicile, les visiteurs font irruption dans la cour, arrêtent les gardes sur place et vandalisent la maison. Sadiba Coulibaly décide de se rendre au palais dans l’espoir de rencontrer le chef de la junte. Il se fait accompagner par l’un des gardes, avec lequel il était sur sa moto, pour Kaloum. Mais il prend soin d’appeler le haut commandant de la Gendarmerie, Balla Samoura, pour dire qu’il se rend au palais pour rencontrer Mamadi Doumbouya. Ce dernier est informé et des dispositions sont prises pour l’arrêter à l’entrée avec son accompagnateur. Cagoule sur la tête et promené un peu dans Kaloum, ils sont envoyés au sous-sol de la présidence. Le lendemain, ils sont embarqués manu militari pour le haut commandement de la gendarmerie nationale pour des auditions. Inculpé pour abandon de poste et désertion à l’étranger, Sadiba Coulibaly est condamné à 5 ans de prison pour désertion et détention illégale d’armes dans un procès expéditif. Le même jour, il est radié des effectifs de l’armée pour « atteinte à la sûreté de l’État, inconduite, désertion et abandon de poste », des motifs contraires à ceux prononcés par le juge lors de sa condamnation.

Comme il fallait s’y attendre, le Général Sadiba est séparé des sept jeunes militaires, dont les six arrêtés à son domicile et celui qui l’accompagnait. Lui est amené cagoulé à la présidence et les autres également cagoulés au siège des forces spéciales au palais du peuple. Après quelques jours de sévices dans le bunker du palais pour tenter d’obtenir des « aveux » afin de continuer une purge au sein de l’armée, il est amené les derniers jours avant sa mort dans la pièce où l’ex-président Alpha Condé était détenu après son arrestation. C’est finalement dans cette chambre qu’il passera ses derniers jours dans une résilience incroyable, répétant jusqu’à sa mort : « Que Dieu soit le juge entre nous », affirme nos sources.

• Un cadavre encombrant ?

Après sa mort dans la nuit du samedi à dimanche 23 juin 2024, Mamadi Doumbouya, informé, panique et ordonne son enterrement immédiat. Mais il prend soin d’informer son ministre de la Défense, Aboubacar Sidiki Camara (Idy Amin). Ce dernier aurait jugé que l’information de sa mort soit rendue publique pour éviter des rumeurs qui pourraient entamer « la cohésion » de la troupe si elles devenaient persistantes. Le corps est finalement déposé à l’hôpital Ignace Deen et le ministre de la Défense se charge du reste du protocole de l’annonce. Le haut commandement de la gendarmerie est informé, puis le ministre de la Justice, Yaya Kaïraba Kaba. La forme est trouvée et les Guinéens sont informés tard ce mardi 25 juin 2024 du décès du Général Sadiba Coulibaly.

Si les oiseaux se cachent pour mourir, le général Sadiba Coulibaly, qui était sûr d’une mort certaine après la descente musclée à son domicile, a décidé de mourir dans la « main » de Mamadi Doumbouya. Telle est sa fin, tel était écrit son destin. Le communiqué du parquet présente les condoléances à sa famille. Pas au peuple de Guinée, encore moins à l’armée dont il était le chef d’état-major très récemment.

Et, enfin, Sadiba Coulibaly a été enterré comme un citoyen lambda !

Comme les prémonitions de Idy Amin le 25 mai 2022 à N’zerokoré : “Quand on s’agite, personne ne tue personne. Vous connaissez les principes dans l’armée, pour nous dédouaner on dit qu’on n’a pas tué. On l’a juste préparé pour présenter à son seigneur.” Fin de citation.

Pardon, fin de parcours pour Sadiba Coulibaly

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